Livres Perso

Je ne veux pas jongler frénétiquement jusqu’à n’en plus pouvoir…

Vous êtes-vous déjà senti(e) “comme un jongleur frénétique qui rêverait de lâcher prise, mais rattrape malgré lui toutes les balles qui passent et qu’une main invisible continue de lui lancer“? (1)

L’accélération serait “l’expérience majeure du siècle, selon Hartmut Rosa” : accélération du rythme de vie car “un homme de 35 ans a déjà vécu 3 fois la vie de son grand-père. trois amours, trois jobs, trois déménagements (…) La lecture d’un quotidien suffisait à son grand-père, il faut désormais compter avec trois textes défilant sur CNN.”  Accélération technique aussi, avec, entre autres, une vitesse de transfert des informations “multipliée par dix millions” (10.000.000 !!!!) depuis le début du XXe siècle. Accélération du changement social, enfin, puisque, au-delà de la seule technologie, “certaines questions qui nous taraudent, comme le choix du meilleur fournisseur d’accès à Internet ou du meilleur moteur de recherche, n’avaient aucun sens pour la génération précédente.” (2)

Biologiquement, nos corps sont aussi bouleversés, car désormais, à l’inverse des siècles passés, “nous travaillons l’hiver et nous nous reposons l’été. Cela entraîne une adaptation, donc une augmentation du stress qui joue un rôle essentiel dans cette sensation [d’accélération du temps]: les hormones du stress, le cortisol et la catécholamine, indispensables pour notre survie, sont sécrétées de plus en plus souvent, provoquant le sentiment d’être dépassé, submergé, de ne plus avoir le temps.” (3)

Ces engins diaboliques que sont internet et les i-phone/pod/pad ou homologues, achèvent le travail de sape : si ce n’est pas le monde extérieur qui vient nous sortir de notre intimité, c’est nous-mêmes qui, devenus accros de sociabilité virtuelle, allons vers lui. Comme si la vraie vie était toujours ailleurs que là où nous sommes, avec ceux que l’on aime et qui nous aiment même quand on a rien à leur dire/montrer, à vaquer à des tâches de base, quotidiennes, bref, indignes de figurer sur notre profil Facebook, d’être évoqués dans nos Tweets ou “sms-ées” à la terre entière et qui pourtant tissent ce que nous sommes vraiment.

“Les intrusions permanentes du monde extérieur dans notre monde intérieur nous bousculent.  On nous sonne et cela nous sonne…” comme le dit si bien David Le Breton, anthropologue et sociologue(4).

Or, j’en ai marre d’être sonnée, jongleuse, frénétique, surmenée, malmenée. Je suis profondément déçue d’être, ne serait-ce qu’en partie, cette femme qui dit souvent “dépêchez-vous” à ses enfants, qui s’entend dire “Maman, quand tu cries comme ça alors que je n’ai rien fait, ça me fait pleurer”,  ou alors “ce matin, Maman, tu es contente, pas contente, les deux ou juste méfiante?”, cette femme qui dit à ses meilleures amies “je n’ai pas le temps” alors qu’il suffirait qu’elle se l’accorde…

Je sais trop, pour l’avoir déjà tristement expérimenté, qu’à force de différer les échanges, de ne pas être dans le réel le plus concret de l’autre, les liens importants se détériorent, alors qu’ils sont, eux, si précieux pour de vrai.

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C’est la qualité de la relation aux autres qui fait le bonheur, ai-je lu récemment.

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Cette qualité, elle se construit et se nourrit, elle ne nous est pas due et n’est pas automatique.

Elle seule mérite que l’on jongle mais elle impose aussi que l’on sache se p[au]ser.

Et je crois que ça y est, je l’ai vraiment, enfin, compris, avec toutes ses implications.

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(1) : Isabelle Sorente, La vitesse emboutit le progrès, pour le magazine Nouvelles Clés, oct. nov 2010, page 14. C’est moi qui souligne. Dans cet article, l’auteure critique l’essai intitulé Accélération : Une critique sociale du temps de l’Allemand Hartmut Rosa, sociologue, politologue et philosophe, professeur à l’université d’Iena, qui “s’inscrit dans la lignée de la théorie critique, qui s’efforce de penser les obstacles à l’émancipation humaine”.

L’article est passionnant, le livre certainement davantage. Il y est expliqué notamment que “chacun se transforme en joueur: plus de projet de vie qui supposerait un horizon temporel relativement stable, mais ce que Rosa appelle une identité situative, une réaction adaptée à la situation, comme celle d’un joueur -qui rappelle cependant moins le joueur d’échec ou de poker que celui d’une Game Boy bombardé de projectiles qu’il est censé gober.” (p. 16), que “les philosophies centrées sur le présent, soit-disant spirituelles, sont en réalité des stratégies d’adaptation, destinées à créer des sas de décélération pour repartir de plus belle, sans sombrer dans la dépression.” Nous voici gouvernés par des échéances, des délais, qui nous empêchent de découper notre temps selon l’importance de ce que l’on veut accomplir et repoussent les choses importantes à long terme à jamais. La conclusion est qu’il nous appartient de trouver une sortie créative, qui ne soit ni une catastrophe écologique, ni un effondrement de la société de l’accélération…

(2) Idem.

(3)Marc Scwob, neuropsychiatre, pour Psychologies Magazine, numéro de mars 2011.

(4) Psychologies Magazine, numéro de mars 2011.

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24 commentaires

  1. Héhéhé j’ai réalisé les mêmes choses que toi avant mon déménagement 🙂 http://blog-maison-ecologique.fr/reflexion-durable/ralentissons-vite

  2. Si tu as la possibilité aujourd’hui d’appuyer sur la touche “pause” pour certaines de tes activités, fais-le… le monde ne s’arrêtera pas de tourner et ta famille, et surtout toi même s’en féliciteront! Le temps file, inexorablement, et à force de vouloir tout (bien) faire on passe toujours à côté de bien des choses!
    Enjoy…!

  3. le temps et bien trop court !!! il faut vivre et surtout prendre le temps avec ses proches !!! et savoir mettre le frein. j’en sais quelque chose malgré mon jeune âge … bisous miss

  4. Peut-être aussi que tu es une femme passionnée, qui veut profiter de tout ce qui passe à ta portée, et que cette abondance de moyens de communication démultiplie cet appétit?

    C’est vrai qu’une pause s’impose pour faire la part de ce qui, du virtuel et de l’IRL (comme disent mes enfants;)), mérite d’être conservé, dorloté, entretenu, et ce dont on peut fort bien se passer finalement. De belles amitiés peuvent naître aussi par ces nouveaux chemins, mais c’est vrai qu’il faut survoler un peu pour mieux regarder, même légèrement, sans trop intellectualiser…

    Bon courage en tout cas, et de douces pensées.

  5. Je compatis! J’en ai aussi marre de courir, d’être stressée et de vouloir faire 1000 choses en même temps. Une pause s’impose, c’est sûr…

    Courages et bises,

    Rosa

  6. Ben y’a rien à rajouter. C’est sec et ça secoue et ça sonne juste. Ca me rappelle la Lenteur de Kundera…
    je pense bien à toi, à vous bisous

  7. J’ai lu un truc sur le fait qu’aujourd’hui on a de plus en plus d’impératifs … Ou plutôt des choses qui paraissent l’être mais qui demandent notre attention et font pousser toujours au plus tard des choses essentielles. Par exemple passer du temps avec nos enfants différemment que la routine. On se dit, tant pis, pas aujourd’hui, trop d’autres choses à faire, de toute façon elle sera toujours là demain et on passe à coté de ce que tu dis, ces relations qui demandent à être cultivées, tous les jours. Ce n’est pas facile de faire ralentir la vie d’aujourd’hui dans notre société mais quand on y arrive, ça donne une paix intérieure superbe.

  8. Nous ne sommes pas toujours bon conseillers pour nous mêmes, fainéants et prêts à remettre au lendemain les changements. Or, les changements sont toujours radicaux, de cela je suis persuadée. N’être indispensable à personne hormis ceux qu’on aime vraiment, et surtout à soi même. Courir après trop c’est se voiler, couvrir ses peurs.

  9. Et parfois le silence total en soi et vis a vis de l’exterieur est miraculeux : il nous impose d’être là et nous révèle que le présent est tout ce que nous avons.
    A bientôt!
    Je t’embrasse
    L.

  10. C’est vrai qu’à bientôt 40 ans , j’ai vécu 10 fois la vie de mon grand père, 10 déménagements, 10 jobs, 3 métiers, 1 amour.

    Le meilleur moyen pour avoir du temps libre, c’est de faire une diète d’informations.
    – Ne lire ses mails qu’une fois par semaine
    – Arrêter twitter et facebook et privilégier les vrais rencontres
    – Ne plus regarder la télé tout simplement
    – Espacer les articles pour ton blog(1 par mois)

    Le principale c’est de passer plus de temps avec ton mari, tes enfants, ta famille et tes amis. Le temps est la chose la plus précieuse que l’on possède.

  11. Je suis devenue depuis plusieurs années adepte de la lenteur. Au delà de cela, pour moi, ce qui compte le plus, c’est de vivre pleinement dans l’instant. Etre pressé, c’est toujours regretter ce que l’on a pas eu le temps de faire, et craindre ce que l’on aura pas le temps de faire au lieu de profiter sereinement de ce que l’on vit à l’instant. Rien n’est obligatoire dans la vie, sauf d’être heureux chaque jour !

  12. Énorme courage pour toi !
    Je ne peux qu’avoir des pensées positives envers toi.
    Même si, perso, j’ai réduit ma vie au stricte minimum pour justement lutter contre le stress, je comprends ô combien ces tourments humains..
    Grosses bises

  13. C’est vrai qu’on vit une époque où tout le monde est pressé et veut vivre à 100 à l’heure, il n’y a qu’à voir comment les gens conduisent et même comment ils marchent où se comportent… dans la rue, les magasins, au ciné, à un distributeur de billet, combien de fois je me suis fait insulter, bousculer ou marcher dessus sans excuses, comme si je n’existais pas…! Les gens sont dans leur monde, marchent la tête rivée sur leurs téléphones et plus rien n’a d’importance. Les gens sont stressés et n’ont le temps de rien faire et au final ils ne font rien : regarder la télé, mettre à jour son facebook, décongeler une pizza toute faite, vérifier ses mails toutes les 5 minutes sur son iphone, chatter sur le net… j’appelle ça ne rien faire !
    Certaines personnes serrinent à longueur de temps “j’ai pas le temps”, pas le temps de cuisiner, pas le temps de faire du sport, pas le temps de lire, blablabla… mais elles ont le temps de regarder la télé plusieurs heures TOUS les jours, je trouve ça fou ! Je pense qu’il y a aussi une part de flemmardise et les gens se réfugient dans leurs habitudes.
    Le temps on l’a toujours, il suffit de se le donner et de faire les bons choix, car bien sûr on ne peut pas tout faire, mais entre passer 1h à regarder les conneries qu’ils diffusent sur la 1 et 1h à préparer un plat pour mon amoureux, pour moi il n’y a pas photo ! (je ne regarde plus la télé depuis très longtemps, mais je ne suis pas extrémiste je regarde des films, des docus, il faut pouvoir se détendre de temps en temps !)
    La photo et le dessin sont attendrissants, un bel exemple des petits bonheurs de la vie quotidienne… profite et mets ton énergie où cela te plaît et te profite, même si cela veut dire que tu passeras moins souvent par ici 🙂

  14. Bravo pour cet article plein de bon sens… sur ce j’éteinds le pc et vais prendre un peu le temps! Merci! 😉

  15. Comme c’est étrange, tu écris cet article alors que nous venons juste d’apprendre que mon mari doit subir un triple pontage coronarien…( et cela malgré une hygiène de vie sensée , une alimentation saine et naturelle;est-ce la résultante de traitements médicamenteux lourds pour une sclérodermie dans l’enfance et une spondylarthropathie conséquente ?… ) La notion du temps prend un sens tellement différent maintenant. Savoir vivre et savourer l’instant présent va être notre nouvelle règle de vie. Pour notre civilisation moderne cela semble si difficile alors que les orientaux savent si bien vivre cela au quotidien…
    Faire son pain est un long travail de patience et de respect d’une fermentation naturelle peut être devons nous être plus conscients de tout cela et reprendre possession d’une conscience pleine et heureuse de chacun de nos actes…
    Je te souhaite de retrouver le Bonheur et la Sérénité dans ta vie quotidienne auprès des tiens sans oublier le partage
    A très bientôt

  16. Merci pour vos commentaires.

    Ce que ça fait du bien de prendre de la distance et de retrouver un rythme plus satisfaisant…

    Mais je n’oublie pas Makanai et je continuerai à publier, tranquillement.
    A bientôt!

  17. Tu as tout à fait raison. Et si le bonheur vient de la relation aux autres, c’est aussi quand on perd ceux qu’on aime que la vraie tristesse s’installe. Profite d’eux, au maximum.

  18. encore une petite lecture qui donne une bonne petite leçon de vie et qui amène à réflechir …
    je te remercie et partage ton avis … le temps ? …il faut savoir se le donner …il faut savoir se l’accorder …pour PROFITER tout simplement des choses de la vie …si petites soient elles … si belles sont elles !!!!

  19. Prends ton temps, pause toi, offre toi ce temps que tu n’oses pas octroyer. Un peu plus de présence active à toi et à tes proches. Parce que oui, c’est tellement bon d’être “aimée” parce ceux qui nous voient faire l’éphémère, le répétitif, le quotidien, le pas glamour, le pas top,… tout ce qui fait une vie remplie de petits bonheurs.
    Plus de temps pour aussi laisser couler les frustrations, les petites ratures, les petits mécontentements, plus de temps pour calmer ton esprit, ta respiration, plus de temps pour recharger les batteries mais aussi offrir le meilleur de toi à ceux qui partagent ta vie.
    En espérant que Makanai reste actif, même très sporadiquement, pour que ceux qui n’ont pas la chance d’être à tes côtés.

  20. c’est flagrant dans le travail. Nos clients s’y prennent au dernier moment pensant que nous n’avons qu’à appuyer sur une touche pour tout faire. toujours plus vite, toujours moins cher. on ne rémunère plus la réflexion, la stratégie. il faut penser à toute vitesse car le temps c’est de l’argent. On ne retient rien, on zappe, C’est une discussion intéressante que j’ai eu avec ma marraine de 80 ans, ancienne institutrice.
    Je n’utilise pas FB ou Twitter : pour quoi faire? quelle est leur finalité? je préfère décompresser, lire, voir des vrais gens même si je vis aussi avec un agenda bien rempli.
    Je vois tellement de collègues ou amis accrochés à leurs appareils. On sent qu’il y a derrière un réel mal être : vouloir absolument exister dans une société virtuelle, d’apparence. Addict aux réseaux sociaux.
    Je vais lire cet article.

  21. Ca fait 2 fois que je relis ce texte, et qu’il m’arrache des larmes tant je me sens concernée……. notamment, dans le rapport à mes enfants qui eux, vivent l’instant présent sans chercher à être déjà dans le futur. Ce texte est sec et renvoie à l’essentiel. Cette fois, je l’ai envoyé à mon homme et à une amie. Merci!

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